Américain, né le 11 juillet 1923 et mort le 17 mai 2018
Enterré (où exactement ?).
Ryszard Edgar Pipes, dit Richard Pipes, né le 11 juillet 1923 à Cieszyn en Pologne et mort le 17 mai 2018 à Cambridge au Massachusetts, est un historien polonais naturalisé américain, spécialiste de la Russie et de l'URSS. Il a été conseiller de Ronald Reagan pour l'Europe de l'Est.
Le père de Richard Pipes était un homme d'affaires en Pologne, d'abord propriétaire d'une chocolaterie, puis importeur de fruits d'Espagne et du Portugal, ce qui lui permit de se faire des amis au sein du gouvernement. D'origine juive, la famille s'échappe en octobre 1939 après l'occupation de la Pologne et, après un passage en Italie fasciste, arrive aux États-Unis en juillet 1940. Richard Pipes est naturalisé américain en 1943 alors qu'il sert dans l'United States Army Air Corps. Il fait ses études au Muskingum College, à l'université Cornell et à Harvard. Il se marie avec Irene Eugenia Roth en 1946, avec qui il a deux enfants. Son fils aîné Daniel Pipes est un spécialiste du Moyen-Orient.
Richard Pipes a enseigné à l'université Harvard de 1958 jusqu'à sa retraite en 1996. Il a dirigé de 1968 à 1973 le Russian Research Center de Harvard et a été senior consultant au Stanford Research Institute de 1973 à 1978. Durant les années 1970, il a été conseiller du sénateur Henry M. Jackson, ainsi qu'un critique important de la politique de détente. En 1981 et 1982, il est membre du Conseil de sécurité nationale, détenant le poste de Director of East European and Soviet Affairs sous le président Ronald Reagan. Il a été membre du groupe de lobbying Committee on Present Danger de 1977 jusqu'à 1992 et du think tank Conseil des relations étrangères. Critiqué à gauche pour avoir affirmé que les estimations américaines sur les dépenses militaires soviétiques étaient sous-évaluées, Pipes, comme Raymond Aron, s'est finalement retrouvé après 1991 dans le camp de ceux qui avaient eu tort.
Richard Pipes est le premier historien à se pencher sur la question de la formation de l'Empire soviétique, et sa politique des nationalités, dans sa thèse, publiée en 1954 sous le titre The Formation of the Soviet Union. Vingt ans plus tard, dans Russia under the Old Regime (1974), Richard Pipes dresse un vaste tableau de l'histoire de la Russie et des contraintes particulières sur le temps long. Fondamentalement différente des pays européens, soumise à des contraintes géographiques fortes, la Russie était caractérisée par la permanence d’un système « patrimonial » : l’État, qu’il soit tsariste ou soviétique, était le propriétaire du pays et de ses habitants. Le maintien durant la période bolchevique d’un régime autocratique était l’expression d’un « despotisme oriental », tandis que la formation de l’URSS en 1922 était un retour à l’impérialisme multinational du xix siècle.
Dans son étude extrêmement détaillée, sans équivalent à ce jour, sur la Révolution russe, Richard Pipes reprend les thèses classiques de « l’école totalitaire ». Selon lui, le « putsch » d’Octobre et la construction de l’URSS ont été l’œuvre d’un seul homme, Lénine, animé d’un « inextinguible appétit de pouvoir ». D’après l'historien américain, Lénine est à l’origine du stalinisme et a servi de modèle pour Mussolini et pour Hitler. Cette vision est reprise dans un ouvrage postérieur où, si l’on en croit le compte rendu critique d'Alexander Rabinowitch, Richard Pipes poursuit avant tout « sa croisade de longue date pour diaboliser Lénine ». Critique pour le moins étonnante, car Lénine n'a absolument pas besoin d'être diabolisé, comme le prouve l'étude exhaustive des œuvres de Lénine par Dominique Colas : Lénine n'a jamais caché son cynisme politique, ni son goût pour la violence et la terreur comme instrument de domination, ce qui est établi par des historiens ayant travaillé sur les archives russes comme Moshé Lewin ou Hélène Carrère d'Encausse. L'affirmation selon laquelle Pipes diabolise Lénine est également à nuancer car il fait bien la distinction entre "l'extraordinaire finesse politique" de Lénine, et sa "naïveté" en matière économique. De même, Pipes souligne bien que "le programme économique préconisé par Lénine (au printemps 1918) était beaucoup plus modéré que celui que les bolcheviks allaient effectivement adopter", et que le communisme de guerre était dû, essentiellement, à "l'opposition fanatique d'un certain nombre de groupes dont le plus virulent était la gauche communiste", menée par Boukharine.
De fait, si le grand public plébiscite depuis longtemps l'œuvre de Pipes, écrite dans une langue limpide qui n'est pas sans rappeler celle de Raymond Aron, sans jamais verser dans l'hystérie comme on le prétend trop souvent, les critiques n'ont pas manqué, ou pire - son travail a été reçu par un silence assourdissant, comme en France. De manière assez révélatrice, une seule œuvre de Pipes a été traduite en français pendant des années, La révolution russe. Sa suite, La Russie sous le régime bolchevique, n'a jamais vu le jour.
Les critiques qui suivent ne doivent surtout pas être considérées comme définitives et servir d'argument d'autorité pour décrédibiliser Pipes, un historien remarquable de l'université Harvard qui, il ne faut jamais l'oublier, a écrit ses travaux dans un contexte de Guerre froide. Selon Jean-Paul Depretto, un historien très marqué à gauche, la synthèse de Pipes sur la Révolution russe « finit par déformer le tableau des événements, à force d'ignorer délibérément les travaux de l'histoire sociale ». Ronald Grigor Suny regrette l’attitude passionnée de Richard Pipes : « son antipathie violente pour Lénine empêche Pipes de s’engager dans un traitement pondéré et nuancé du personnage même qu’il voit comme central dans le récit de 1917 ». Peter Kenez, pourtant lui aussi partisan de la théorie du totalitarisme, pointe l’anticommunisme ardent de Richard Pipes, qu’il qualifie d’« homme extrêmement conservateur » : « La haine de l’auteur pour les révolutionnaires est tellement grande qu’il cesse d’être un historien et devient à la place un procureur des révolutionnaires. » De fait, Pipes appartient à une génération d'historiens "engagés" qui, comme Raymond Aron, ne se font aucune illusion sur le communisme et ses avatars.
Richard Pipes mort le jeudi 17 mai 2018 à l'âge de 94 ans à Cambridge (Massachusetts, USA).
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