Enterré (où exactement ?).
Bernard Lewis, né le 31 mai 1916 à Stoke Newington, un quartier dans Londres et mort le 19 mai 2018 à Voorhees Township au New Jersey, est un historien de citoyenneté britannique à sa naissance, il a également acquis la nationalité américaine et israélienne. Il est un spécialiste de l'islam. Parmi ses très nombreux ouvrages, figurent notamment « Les Arabes dans l'histoire » (1950), « L'Islam en crise » (2003), « Islam et laïcité » (1988) ou encore « Le langage politique de l'Islam » (1988).
Professeur émérite des études sur le Moyen-Orient à l'université de Princeton, spécialiste du Moyen-Orient, notamment de la Turquie, et plus généralement du monde musulman et des interactions entre l'Occident et l'Islam. Il est l'auteur de nombreux ouvrages de référence sur le sujet.
Outre ses activités académiques, Bernard Lewis est un intellectuel engagé dans le combat politique. Il est connu pour sa défense d'Israël. Il est au centre d'une large polémique en France où des intellectuels lui reprochent de nier le génocide arménien et des associations déposent des plaintes contre lui. Il est condamné au civil, en vertu de l'article 1382 du code civil pour « faute » et pour avoir causé un dommage à autrui, condamnation commentée à l'étranger comme étant une atteinte à la liberté d'expression.
Il fut conseiller des services secrets britanniques lors de la Seconde Guerre mondiale, consultant du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, conseiller de Benyamin Netanyahou alors ambassadeur d'Israël à l'ONU (1984-88) et reste un proche des néo-conservateurs.
Né de parents juifs de la classe moyenne à Londres, Bernard Lewis est attiré par les langues et l'histoire dès son plus jeune âge. Tandis qu'il se prépare à la cérémonie de la bar mitsva à l'âge de onze ou douze ans, il se découvre un intérêt pour les langues étrangères, et spécialement pour les différents alphabets, alors qu'il apprend l'hébreu. Plus tard, il étudie l'araméen puis l'arabe, et plus tard encore le latin, le grec, le persan et le turc. Comme pour les langues étrangères, l'intérêt de Lewis pour l'histoire s'éveille au moment de sa bar mitzvah, à l'occasion de laquelle il reçoit en cadeau un livre sur l'histoire juive.
Il étudie et passe sa licence et son doctorat en histoire à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de l'université de Londres. En 1936-1937, il passe son master (appelé alors diplôme d’études supérieures) à Paris, où il commence à apprendre le persan et le turc ; puis, grâce à une bourse, il passe l’année 1937-1938 en Égypte (il s’inscrit comme auditeur libre à l’université du Caire), et, de façon plus brève, en Palestine, en Syrie, au Liban et en Turquie. Mobilisé en 1939, il est affecté à un régiment de chars, puis, en 1941, dans un service de renseignements. Il explique dans son autobiographie qu'une loi britannique toujours en vigueur lui interdit, encore en 2011-2012, de donner des précisions sur ce qu'il a fait pendant la période 1941-1945.
À la fin des années 1940, il rédige The Arabs in History, publié en 1950. « Ce livre, indique Bernard Lewis, n’est pas tant une histoire des Arabes qu’un essai d’interprétation », se concentrant sur « certaines données fondamentales : la place des Arabes dans l’histoire de l’humanité, leur identité, leurs réalisations et les traits saillants des diverses époques de leur développement. » L’ouvrage commence par définir les Arabes, leur identité, puis progresse chronologiquement, de l’Arabie pré-islamique jusqu’à l’époque contemporaine, mais en insistant particulièrement sur les deux périodes qui intéressent le plus l’auteur : l’âge d’or de la civilisation arabo-musulmane (correspondant au Moyen Âge occidental) et la période suivante, qui voit le déclin de cette civilisation, conquise par les Turcs puis les puissances coloniales; principalement le Royaume-Uni et la France.
L’ouvrage est traduit en arabe, et salué en Égypte par Shafiq Ghorbal ; par contre, il est interdit au Pakistan parce qu’il comporte une citation de Dante contre Mahomet, que Lewis ne reprend pourtant pas à son compte, mais mentionne comme « un bon exemple des préjugés et de la bigoterie bornée dans l’Europe du Moyen Âge. »
Lewis passe l’année universitaire 1949-1950 à Istanbul, où il consulte les archives ottomanes. Peu après, le Royal Institute for International Affairs lui demande d’écrire un livre sur la Turquie moderne et contemporaine. Il revient en Turquie plusieurs fois dans les années 1950 pour poursuivre ses recherches. Le livre The Emergence of Modern Turkey — centré sur la période qui va du xviii siècle à 1950 — paraît aux Presses de l’université d’Oxford en 1961, et remporte un vif succès. Une édition de poche, avec « d’assez larges révisions », paraît en 1968. Ce texte sert à la traduction en turc (par la Société d’histoire turque), en polonais (par l’Académie des sciences de Varsovie) et en hébreu (par les Presses de l’université hébraïque de Jérusalem). Une traduction française paraît en 1988 chez Fayard ; au « grand étonnement » de Bernard Lewis, le titre devient sous-titre, remplacé par Islam et laïcité ; lorsqu’il demande la raison de cette modification, l’historien de Princeton se voit répondre : « L’Islam se vend ; la Turquie ne se vend pas. » Il publie la troisième édition anglaise en 2002, avec quelques corrections. Ce texte est traduit en turc, toujours par la Société d’histoire turque.
De ces recherches en Turquie, il tire également deux articles. Dans « The Ottoman Archives as a Source for the History of the Arab Lands » (Journal of the Royal Asiatic Society, octobre 1951, p. 139-155), il insiste sur l’intérêt des archives ottomanes. Dans « The Impact of the French Revolution on Turkey » (Journal of World History, n 1, 1953, p. 105-125), il développe une thèse qu’il reprend ensuite plusieurs fois : la Révolution française marque une rupture dans l’histoire du monde musulman et surtout turc, dans la mesure où elle est le premier modèle venu de l’Occident qui ne se veut pas chrétien, et qui peut donc être regardé avec intérêt par un musulman orthodoxe, mais soucieux de modernisation.
Remontant dans la chronologie, Lewis publie en 1963, aux Presses de l’université d’Oklahoma, Istanbul and the Civilization of Ottoman Empire, qui va de la conquête (1453) au xviii siècle, s’appuyant sur des sources ottomanes et occidentales. Une deuxième édition de l’ouvrage paraît en 1989 et une version française l’année suivante.
Rassemblant une série de six conférences prononcées en 1963 à l’université d’Indiana, il en tire un livre, The Middle East and the West, sur la pénétration occidentale au Moyen-Orient et les mutations de cette région à l’époque contemporaine. L’ouvrage est traduit en arabe, en grec, en hébreu et en norvégien. En 1993, il publie une édition revue et corrigée sous le titre Islam and the West, qui est cette fois traduite en français et en allemand et qui va désormais jusqu’à la guerre du Golfe.
À la fin des années 1960, l’Institute of Race Relations de Londres invite Bernard Lewis à poursuivre ses travaux sur la tolérance. Il présente une communication le 2 décembre 1969, publiée par la revue Encounter en août 1970. Un éditeur new-yorkais lui demande alors un livre tiré de cet article. L’ouvrage est publié en 1971 (version française : Race et Couleur en pays d'Islam, Payot, 1982). Poursuivant dans cette voie, Lewis publie, en 1990, aux Presses de l’université d’Oxford, Race and Slavery in the Middle East (version française : Race et Esclavage au Proche-Orient, Paris, Gallimard, 1993).
En 1974, il divorce et se retrouve dans une situation, tant personnelle que financière, difficile ; certains de ses collègues de la SOAS lui trouvent alors un poste de professeur à l'université de Princeton (où il n'a à enseigner qu'un semestre par an) et un autre à l'Institute for Advanced Study (sans aucun lien organique avec l'université : Lewis devient le premier professeur à être affilié en même temps aux deux établissements). Cette nouvelle situation lui permet de reprendre ses travaux à un rythme soutenu.
À partir de la fin des années 1970, Bernard Lewis travaille sur les minorités, en particulier juives, dans les pays à majorité musulmane (article pour les Annales en 1980 ; et The Jews of Islam, Princeton University Press, 1984 ; version française : Juifs en terre d’Islam, Paris, Calmann-Lévy, 1986). Il estime qu'un antisémitisme arabo-musulman serait apparu au xix siècle, sous l’influence de diplomates occidentaux d’une part, de chrétiens d’Orient (Grecs, Arméniens, Arabes maronites) d’autre part. Il s’agirait d’un produit d’importation, tous les thèmes étant empruntés à l’antisémitisme chrétien et occidental : empoisonnement, complots, Protocoles des Sages de Sion et même la littérature nazie ; mais, à la suite de l’action de certains dirigeants arabes et au conflit israélo-arabe, cet antisémitisme se serait enraciné, jusqu’à détruire les communautés juives des pays arabes, Maroc excepté. Il poursuit cette analyse dans Semites and anti-Semites (traduction française : Sémites et antisémites, Paris, Fayard, 1987). Critiquant les accusations systématiques d’antisémitisme portées par le Likoud aussi bien qu’un certain antisionisme, Lewis écrit : « Il serait tout à fait injuste et même absurde d'affirmer que tous les adversaires du sionisme et d'Israël sont antisémites. Cependant, il est clair que l'antisionisme sert parfois à donner l'apparence de la respectabilité à des sentiments qui, à l'heure actuelle et dans le monde libre, ne sont en général plus de mise lorsqu'on nourrit des ambitions politiques ou intellectuelles. » Tout en qualifiant de « haine de soi » l’hostilité de certains Juifs à Israël, il note que « la vieille garde antisémite est devenue l’ardente avocate d’Israël, parce qu’elle hait les Arabes encore plus que les Juifs. » Il invite les dirigeants arabes à suivre l’exemple d’Anouar el-Sadate pour « tuer dans l’œuf ce nouvel antisémitisme ».
Il codirige un séminaire à l’université de Princeton, avec le médiéviste Benjamin Braude, en 1978, sur les chrétiens et les juifs de l’Empire ottoman, des origines à 1914. Les travaux de ce séminaire sont publiés (Christians and Jews in the Ottoman Empire: The Functioning of a Plural society, New York-Londres, Holmes and Meier, 1982, deux volumes).
Reprenant ses conférences prononcées en octobre-novembre 1986 devant la Fondation Exxon, Bernard Lewis publie en 1988 The Political Language of Islam (Presses de l’université de Chicago, 1988 ; version française : Le Langage politique de l’Islam. Il s’appuie aussi bien sur ses propres recherches historiques et philologiques que sur des travaux de sémioticiens.
En 1995, synthétisant ses travaux, il publie The Middle East: A Brief History of the Last 2000 Years (traduction française : Histoire du Moyen-Orient, Albin Michel, 1997). Il continue d’écrire dans les années 1990 et 2000, principalement des articles (dont une partie a été rééditée en recueil par les Presses de l’université d’Oxford : From Babel to Dragoman. Interpreting the Middle East, 2004 ; et Faith and Power: Religion and Politics in the Middle East, 2010) et deux essais : What Went Wrong? en 2002 (traduction française : Que s'est-il passé ?, Gallimard) puis The Crisis of Islam en 2003 (traduction française : L’Islam en crise, Gallimard).
En 2005, plusieurs de ses ouvrages et articles sont réédités, en français, par les éditions Gallimard, dans la collection Quatro, sous le titre Islam.
Bernard Lewis le samedi 19 mai 2018 à l’âge de 101 ans à Voorhees Township (New Jersey, USA).
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