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Louis « David » Riel (22 octobre 1844 16 novembre 1885) était un homme politique canadien, chef du peuple métis dans les Prairies canadiennes et fondateur de la province du Manitoba. Il a dirigé deux mouvements de résistance contre le gouvernement canadien dans le but de protéger les droits et la culture des Métis alors que l'influence canadienne se faisait de plus en plus sentir dans les Territoires du Nord-Ouest.
La première révolte est la rébellion de la rivière Rouge de 1869 à 1870. Le gouvernement provisoire établi par Louis Riel négocie finalement l'entrée de la province du Manitoba dans la Confédération canadienne. Celui-ci doit s'exiler aux États-Unis en raison de l'exécution de Thomas Scott pendant ces événements. Malgré cet exil, il est largement considéré comme le « Père du Manitoba ». Durant cette période, il est élu à trois reprises à la Chambre des communes du Canada, bien qu'il n'ait jamais pu occuper son siège. C'est là qu'il commence à souffrir de troubles mentaux par intermittences, notamment d'illusions mystiques lui dictant qu'il était prophète de son peuple et le fondateur d'une nouvelle chrétienté. Cette conviction réapparaît plus tard dans sa vie, et influence très probablement son action. En exil au Montana, il épouse, en 1882, une jeune métis francophone, Marguerite Monet dite Bellehumeur, et dont il a trois enfants.
Louis Riel revient en 1884 dans l'actuelle Saskatchewan pour présenter les doléances du peuple métis au gouvernement du Canada. Cette résistance dégénère en confrontation armée connue sous le nom de rébellion du Nord-Ouest de 1885. Celle-ci est écrasée et se conclut par l'arrestation, le procès puis l'exécution de Riel pour trahison. Jouissant d'un certain capital de sympathie dans les régions francophones du Canada, sa mort a des répercussions durables sur les relations entre la province du Québec et le Canada anglophone.
Pendant ce temps, Riel s'installe à Plattsburgh, New York, dans le village francophone de Keeseville. C'est là qu'il apprend la condamnation à mort de Lépine après son procès pour le meurtre de Scott. La presse québécoise s'enflamme, et les appels à la clémence pour Lépine et Riel se multiplient. Mackenzie, politiquement coincé entre des demandes québécoises et ontariennes opposées, ne doit son salut qu'à l'intervention spontanée du gouverneur-général Lord Dufferin, qui commue la peine de Lépine en janvier 1875 : sur cette base, le Premier ministre obtient du Parlement une amnistie pour Riel, à charge pour celui-ci de rester en exil pendant cinq ans.
Cette période d'exil est pour lui dominée par des questions religieuses plutôt que politiques. Influencé par un prêtre catholique québécois de son entourage, il se convainc graduellement de son destin divin de leader des Métis. Ses biographes ont longtemps spéculé qu'il pourrait s'agir d'une condition psychopathologique proche du narcissisme. Quoi qu'il en soit, sa santé mentale décline et, suite à une violente crise, il est emmené à Montréal pour être gardé par son oncle, John Lee. Après que Riel eut perturbé la tenue d'un service religieux, Lee le fait interner à l'asile de Longue-Pointe le 6 mars 1876 sous une fausse identité (Robert Louis David). Craignant qu'il ne soit démasqué, ses docteurs le transfèrent peu après à Beauport, près de Québec sous le nom de Louis Larochelle. Bien que sujet à des crises sporadiques, Riel continue ses écrits religieux, ses pamphlets théologiques mélangeant thématiques juives et chrétiennes. C'est ainsi qu'il commence à se faire appeler Louis David Riel, prophète du Nouveau Monde. Il n'en finit pas moins par se rétablir, et peut quitter l'asile le 23 janvier 1878. Il retourne quelque temps à Keesville, où il a une aventure passionnée avec Evelina Martin dit Barnabé, soeur de son ami l'Oblat Fabien Barnabé. Faute de fonds, il ne peut l'épouser et s'en retourne vers l'Ouest, espérant qu'elle le suivrait. Elle préfère cependant rester dans son village plutôt que de tenter la vie dans la Prairie, ce qui met fin à leur liaison.
À l'automne 1878, Riel s'en retourne à Saint Paul pour revoir ses amis et sa famille. Cette période est riche en changements pour les Métis de la rivière Rouge - les bisons dont ils dépendaient se font plus rares, les colons de plus en plus présents, et, nombreux sont ceux qui ont vendu leurs terres à des spéculateurs sans scrupules. À l'instar de nombreux Métis quittant le Manitoba, Louis Riel part vers l'ouest afin de prendre un nouveau départ : il devient commerçant et interprète dans la région de Fort Benton, dans le territoire du Montana. Il essaie même d'empêcher le commerce du whisky, dont il voit les effets dévastateurs sur les populations indienne et métisse.
Il épouse Marguerite Monet dit Bellehumeur (18611886), une jeune Métis, le 28 avril, union formalisée le 9 mars 1882. Le couple a trois enfants : Jean-Louis (18821908), Marie-Angélique (18831897) et un garçon mort-né le 21 octobre 1885, soit moins d'un mois avant la propre mort de Riel.
Louis Riel prend rapidement parti dans la vie politique du Montana et, en 1882, mène campagne pour le Parti républicain. Il va jusqu'à poursuivre les Démocrates en justice pour fraude électorale, mais est lui-même accusé d'avoir fait voter des citoyens britanniques. Il réplique en demandant la naturalisation américaine, qui lui est accordée le 16 mars 1883. À partir de 1884, il devient enseignant à la mission jésuite du district de Sun River, dans le Montana.
Après la Rébellion de la rivière Rouge, nombreux sont les Métis à s'installer plus à l'ouest, dans la vallée de la Saskatchewan, en particulier le long du bras sud de la rivière, à proximité de la mission Saint-Laurent (près de l'actuelle ville de Saint-Laurent de Grandin). Mais, dès le début des années 1880, il devient clair que l'émigration vers l'Ouest n'est pas la panacée aux problèmes des Métis et des Indiens des plaines. L'effondrement des stocks de bisons place les Cris et Pieds-Noirs (Blackfoot) au bord de la famine, situation exacerbée par la diminution de l'aide gouvernementale en 1883, ainsi que d'une manière générale par l'incapacité d'Ottawa à remplir ses obligations en vertu des traités existants. Abandonnant la chasse, les Métis se mettent à l'agriculture; cette transition est cependant contrariée par les mêmes conflits sur la propriété des terres que ceux rencontrés dans le Manitoba. De plus, la pression migratoire des colons européens et canadiens se faisant plus forte, ceux-ci développent leurs propres griefs vis-à-vis de l'administration du territoire. Toutes les parties ont donc de sérieux motifs d'insatisfaction et, dès 1884, les communautés anglophone, anglo-métisse et métisse commencent à adresser leurs plaintes à un gouvernement central largement indifférent. Le 24 mars, une trentaine de représentants métis réunis dans le village de Batoche votent pour demander à Louis Riel de revenir représenter leur cause. Le 6 mai 1884, une « Union des colons », réunissant des délégués métis et anglophones de la ville de Prince Albert décide d'envoyer une délégation officielle auprès de Riel pour que celui-ci les aide à présenter leurs doléances au gouvernement canadien.
Le chef de la délégation est Gabriel Dumont, un chasseur de bison respecté et chef des Métis de Saint-Laurent, qui a déjà rencontré Riel au Manitoba. Ce dernier est rapidement convaincu de rejoindre la cause métisse réaction compréhensible, persuadé qu'il est de sa destinée en tant que chef métis et de son statut de prophète d'une nouvelle chrétienté. Un autre objectif probable de Riel est de profiter de toute nouvelle source d'influence pour résoudre ses propres problèmes fonciers au Manitoba.
Quoiqu'il en soit, le groupe part le 4 juin pour arriver à Batoche le 5 juillet 1884. À son arrivée, une série de discours, prônant la modération et une approche raisonnée, lui gagnent le soutien des populations métisse et anglophone. Les leaders cris Big Bear et Poundmaker ayant eux aussi formulé au cours du mois de juin diverses complaintes à transmettre au gouvernement, ils se réunissent peu après avec Riel pour discuter d'une démarche commune avec les colons. Mais, leurs demandes étant très différentes de ceux-ci, aucun accord n'est trouvé. Sur proposition de Riel, Honoré Jackson et d'autres délégués commencent à mettre leurs revendications par écrit et, le 28 juillet, produisent un programme détaillant les problèmes et objectifs des colons. Dans les mois qui suivent, un comité mixte anglophones-Métis (avec Jackson comme secrétaire) travaille à aplanir les différences entre les propositions des communautés, alors même que le soutien à Riel commence à diminuer : la teneur de ses déclarations s'éloigne de plus en plus du catholicisme romain, et le clergé prend graduellement ses distances avec lui. Le père Alexis André va jusqu'à lui déconseiller officiellement de mélanger religion et politique. Enfin, la presse anglophone, en partie soudoyée par le lieutenant-gouverneur et commissaire aux affaires indiennes Edgar Dewdney, adopte une position de plus en plus critique vis-à-vis de Riel. Le travail de la délégation n'en continue pas moins et, le 16 décembre, Riel peut envoyer le texte du comité au gouvernement central, demandant en outre qu'une délégation puisse être accueillie à Ottawa pour débuter des négociations directes. Le texte est reçu par Joseph-Adolphe Chapleau, Secrétaire d'État du gouvernement Macdonald, bien que celui-ci eut plus tard nié l'avoir jamais lu.
En attente de nouvelles de la part d'Ottawa, Riel songe à retourner dans le Montana mais finit par se décider à rester. Limité dans ses possibilités d'action, il se tourne vers la prière de manière obsessionnelle, attitude liée à une rechute de ses troubles psychologiques et qui tend rapidement ses liens avec le clergé catholique, ses prêches confinant de plus en plus à l'hérésie.
Le 11 février 1885, une réponse est enfin reçue : le gouvernement propose de recenser de la population du Territoire du Nord-Ouest et de former une commission d'enquête pour étudier les différents problèmes rencontrés par les populations locales. Les Métis, interprétant ce geste comme une manoeuvre dilatoire, accueillent mal la nouvelle : une faction se constitue rapidement qui prône la révolte armée. Cette option est cependant rejetée par l'Église, les anglophones et même les Métis regroupés autour de Charles Nolin. Mais Riel, sans doute de plus en plus sous l'emprise de ses visions messianiques, se rapproche de son côté des partisans d'une action violente. Le 15 mars, il interrompt une messe à l'église de Saint Laurent pour y présenter ses arguments. Interdit de sacrements, il parle de plus en plus ouvertement de sa « révélation divine ». Désabusés par le statu quo ambiant et galvanisés par le charisme et l'éloquence de Riel, nombre de Métis lui restent cependant fidèles, ceci en dépit de sa demande que l'évêque Bourget soit nommé Pape et de ses affirmations selon lesquelles « Rome est tombée ». Un des ecclésiastiques de Saint Laurent rapporta plus tard :
« (...) dans son étrange et inquiétante folie, [il] fascinait nos pauvres Métis comme le serpent fascine ses proies. »
Le 18 mars 1885, on apprend que la garnison de la Police montée stationnée à Prince Albert va être renforcée. Même si seulement 100 hommes sont envoyés pour répondre aux demandes du père André et du superintendant du Territoire L.N.F. Crozier, la rumeur enfle et ce sont rapidement 500 hommes lourdement armés qui sont annoncés. À bout de patience, les hommes de Riel prennent les armes, s'emparent d'otages et coupent les liaisons télégraphiques entre Batoche et Prince Albert. Un gouvernement provisoire est nommé le 19 mars, avec Riel comme leader politique et spirituel et Dumont comme chef militaire. Riel nomme un conseil, appelé Exovedat (néologisme signifiant « ceux qui ont quitté le troupeau »), et envoie des émissaires auprès de Poundmaker et Big Bear. Le 21 mars, les représentants de Riel demandent la reddition de Fort Carlton, sans résultat. La situation devenue critique, Dewdney envoie le 23 mars un télégramme à Macdonald le pressant d'intervenir militairement. C'est à ce moment qu'une escarmouche entre un groupe mené par Gabriel Dumont et une patrouille venue de Fort Carlton éclate. La police est mise en déroute lors de cette Bataille de Duck Lake et, à l'annonce de celle-ci, les Indiens se soulèvent aux côtés des Métis : la Rébellion du Nord-Ouest a commencé.
Riel parie sur l'incapacité du gouvernement central à répondre de manière effective à une révolte dans le lointain nord-ouest canadien, le forçant du coup à s'asseoir à la table des négociations. La même stratégie avait, de fait, fonctionné lors de la rébellion de 1870. Cependant, Riel dans son calcul néglige un aspect essentiel : en 1870, les premières troupes n'étaient pas arrivées avant 3 mois, alors que désormais elles peuvent profiter du réseau Canadien Pacifique naissant. En dépit d'une liaison transcontinentale encore incomplète, les premières troupes régulières et de milice, sous le commandement du Major-Général Frederick Dobson Middleton, arrivent à Duck Lake moins de 2 semaines après la prise du pouvoir par Riel.
Conscient qu'il ne peut vaincre les Canadiens lors d'une confrontation directe, Dumont mise sur une longue et épuisante campagne de guerilla; la Bataille de Fish Creek, le 24 avril, est dans cette optique un succès modeste mais réel. Riel insiste cependant pour que les forces rebelles soient concentrées autour de Batoche, « Ville de Dieu ». L'issue de la Bataille de Batoche qui s'ensuit du 9 au 12 mai ne fit jamais aucun doute, et le 15 c'est un Riel hagard qui se rend aux forces canadiennes. Bien que les forces de Big Bear résistent encore jusqu'à la Bataille de Loon Lake le 13 juin, la rébellion est un échec complet pour les Indiens et les Métis, la plupart fuyant ou faisant acte de reddition.
Peu après sa reddition à la Police montée, Riel est interné au camp militaire canadien installé près de Batoche, où il passe neuf jours sous la garde du capitaine George Holmes Young, fils du révérend George Young, qui en 1870 avait plaidé pour la libération de Thomas Scott. Dès le 16, Adolphe-Philippe Caron, ministre de la milice canadienne, ordonne que Riel soit envoyé à Winnipeg pour y être jugé. Le convoi, voyageant par rail, a à peine atteint Moose Jaw qu'il est redirigé sur Regina, la capitale du Territoire du Nord-Ouest, toujours sur ordre de Caron. Young et Riel sont accompagnés d'une escorte de seize hommes en armes et d'un prêtre, Charles Bruce Pitblado.
Des pressions en haut lieu poussent le gouvernement à organiser le procès à Winnipeg dès juillet 1885. Bien que plusieurs historiens argumentèrent que celui-ci se tint finalement à Regina par peur que ne se trouve à Winnipeg un jury trop mixte et indulgent envers le prévenu, l'historien Thomas Flanagan précise[1][2] qu'un amendement au North-West Territories Act (qui abandonne une provision imposant le jugement des crimes passibles de la peine capitale au Manitoba) permet simplement que le procès se tienne dans le territoire lui-même (où le crime avait eu lieu). Quoi qu'il en soit, le déplacement du procès est une bonne affaire pour le gouvernement : alors que le droit du Manitoba garantit la tenue du procès devant un juge indépendant, la loi territoriale ne requiert que la présence d'un magistrat professionnel, c'est-à-dire un simple fonctionnaire d'État nommé suivant le bon vouloir du gouvernement fédéral. De plus, un procès au Manitoba aurait requis un jury de 12 hommes et l'assurance du bilinguisme, alors que dans le Territoire du Nord-Ouest, seule la présence de six jurés est demandée, aucune garantie quant à la protection des francophones n'étant spécifiquement prévue.
Le 23 mai 1885, Riel arrive enfin à la prison de Regina, où il est enchaîné à un boulet et enfermé pendant près de deux mois dans une cellule d'à peine 3 m² avant de pouvoir rencontrer ses avocats, le 1er juillet. L'inculpation de trahison ne lui est pas formellement notifiée avant le 6 juillet. Le 14, Riel rencontre François-Xavier Lemieux et Charles Fitzpatrick, deux jeunes avocats québécois envoyés par l'Association Nationale pour la Défense des Prisonniers Métis, un organisme québécois, ainsi que Thomas Cooke Johnstone, avocat ontarien récemment établi à Regina.
Le Premier ministre John A. Macdonald avait donc tranché en faveur de Regina, où Riel serait jugé par un jury composé de six protestants anglais et écossais, tous de la région. Sur les 36 personnes appelées pour assurer la charge de juré, une seule s'avère parler le français et elle ne peut de toute façon se présenter à l'audience. Le seul catholique (un Irlandais) est contesté, et exclu, par l'accusation sous prétexte qu'il n'est pas d'ascendance britannique. Le procès débute le 28 juillet 1885 et ne dure que cinq jours.
Riel est inculpé pour six nouveaux actes de trahison le 20 juillet. Ces six inculpations ne sont, de fait, que trois accusations répétées en double, une fois à l'encontre d'un sujet de la Reine, et une fois à l'encontre d'un étranger (Riel étant considéré américain). Les conseils du prévenu contestent immédiatement le for, mais cette requête est rejetée. Riel plaide alors non coupable à toutes les accusations, et ses avocats demandent un délai supplémentaire pour acheminer des témoins. Cela leur est accordé, et le procès commence le 28 juillet 1885.
Les représentants de la Couronne comptent parmi les avocats les plus brillants du Dominion : Christopher Robinson, Britton Bath Osler, George Burbidge, David Lynch Scott, et Thomas Chase-Casgrain, ce dernier étant le seul francophone du groupe. Neuf témoins à charge sont appelés : Général Frederick Middleton, Dr. John Willoughby, Thomas McKay, George Ness, George Kerr, John W. Astley, Thomas E. Jackson, Dr. A. Jukes, et le cousin de Riel, Charles Nolin. Les contre-interrogatoires menés par la défense tentent de démontrer la fragilité mentale de Riel, mais sans succès. Le 30 juillet, cette tentative a sa chance, la défense produisant cinq témoins à décharge : Dr. François Roy de l'asile psychiatrique de Beauport, Dr. Daniel Clark de l'asile de Toronto, Philippe Garnot, qui fut secrétaire de Riel pendant quelque temps, ainsi que les prêtres Alexis André et Vital Fourmond, qui tous témoignent de la démence de Riel sans pour autant se montrer compréhensifs ou présenter quelque circonstance atténuante. La plaidoirie de la défense ne dure qu'une journée.
Riel donne deux longs discours devant la Cour, défendant ses actes et affirmant les droits des Métis. Rejetant la tentative de son avocat de le présenter comme mentalement irresponsable, il déclare :
« La vie, sans la dignité de l'intelligence, ne vaut pas d'être vécue. »
Le jury le reconnaît coupable le 31 juillet, après seulement une demi-heure de délibérations, mais demande la clémence. Le juge Richardson, qui préside aux débats, le condamne pourtant à mort, la date de son exécution étant initialement fixée au 18 septembre 1885. Cinquante ans plus tard, un des jurés déclarera que Riel fut jugé pour trahison et pendu pour le meurtre de Thomas Scott.
L'issue du procès est autant celle décidée par le gouvernement que celle issue du conflit entre l'accusé et sa défense. Riel avait demandé à mener le contre-interrogatoire des témoins à charge, ce que ses avocats lui refusèrent. De même, Riel contesta la nomination de ceux-ci (tous catholiques et francophones), ne voulant pas que son procès soit celui des anglophones contre les francophones. Les conseils de Riel ne suivant manifestement pas ses instructions (ils menacèrent même de l'abandonner en plein milieu des audiences), l'on peut se demander de même sur quels ordres ils agissaient.
Riel se réconcilie avec l'Église catholique juste avant son exécution, allant jusqu'à choisir le Père André comme conseiller spirituel. Boulton écrivit dans ses mémoires[3] qu'à l'approche de son exécution, Riel commença à regretter son opposition à ce que son avocat plaide la folie et tenta vainement de prouver qu'il était bel et bien fou. Le gouvernement Macdonald est inondé de lettres de Québécois catholiques voyant en Riel l'exemple de la minorité francophone opprimée par les anglophones protestants. Le Premier ministre, Sir John A. Macdonald, qui empêcha que la peine de Riel fut commuée ou rejugée, déclare à cette époque : « Il sera pendu, même si tous les chiens du Québec aboient en sa faveur ». Après que plusieurs demandes pour qu'un nouveau procès ait lieu et qu'un appel auprès du Conseil privé de la Reine pour le Canada eut été rejeté, Riel est pendu pour trahison le 16 novembre 1885.
Boulton, témoin direct, écrivit :
« (...) Père André, après avoir expliqué à Riel que la fin était proche, lui demanda s'il était en paix avec les hommes. Riel répondit « Oui ». « Pardonnez-vous tous vos ennemis ? » « Oui. » Riel lui demanda alors s'il pouvait parler. Père André lui recommanda de ne pas le faire. Il reçut alors le baiser de la paix de la part des deux prêtres, et Père André lui dit [en français] « Alors, allez au ciel ! ». (...) La capuche lui fut mise sur la tête, et la trappe ouverte sous ses pieds alors qu'il priait. La mort fut instantanée. Le pouls cessa de battre 4 minutes plus tard. Une tombe était en train d'être creusée pour y enterrer le corps quand, sur ordre du Lieutenant-Gouverneur celui-ci fut remis au sheriff Chapleau ce qui fut fait la nuit-même. »
Son corps est transféré chez sa mère, à Saint-Vital, Manitoba, pour y être exposé. Le 12 décembre, Riel est enterré dans le cimetière de la cathédrale Saint-Boniface après une messe de requiem.
Les demandes foncières des Métis de la Saskatchewan sont toutes accordées par le gouvernement avant la fin 1887, et le cadastre le long de la rivière réarrangé selon leurs voeux. Les Métis ne saisissent pas immédiatement la valeur de leurs nouvelles terres, et celles-ci sont rapidement acquises à vil prix par des spéculateurs qui en tirent de très larges plus-values. À bien des égards, les pires craintes de Riel se réalisent après l'échec de la rébellion, le français et le catholicisme sont de plus en plus marginalisés dans la Saskatchewan et le Manitoba, comme le montre par exemple la Question des écoles du Manitoba à la fin du siècle. Les Métis sont de plus en plus souvent contraints à vivre sur des terres pauvres ou à proximité de réserves (mais pas dans celles-ci, n'ayant pas le statut d'Amérindiens). La Saskatchewan ne devient une province canadienne qu'en 1905, soit 20 ans après la Rébellion du Nord-Ouest.
La mort de Riel et la fermeté de Macdonald causèrent des troubles durables au Québec, et influencèrent sensiblement le débat politique canadien. Au Québec, Honoré Mercier profite du mécontentement local pour faire renaître son Parti national, ce dernier gagnant la majorité aux élections provinciales de 1886 au dépend du Parti conservateur. L'élection fédérale de 1887 voit de même des gains de la part du Parti libéral, à nouveau aux dépens des conservateurs : Wilfrid Laurier devient Premier ministre après les élections générales de 1896, prélude à l'hégémonie de son parti sur la politique canadienne du XXe siècle.
L'influence durable de Riel sur la politique nationale sera démontrée lorsque le 16 novembre 1994, la députée Suzanne Tremblay du Bloc québécois propose la loi C-228, « Loi annulant la condamnation de Louis David Riel ». La proposition est largement perçue dans la partie anglophone du pays comme une tentative de mobilisation des forces nationalistes québécoises à l'approche du référendum de 1995 sur la souveraineté de la Belle Province.
L'image populaire d'un Louis Riel dément et traître à la nation, particulièrement répandue hors des communautés métisse et canadienne-française, a énormément évolué depuis la fin du XXe siècle[4]. La plupart des Canadiens le considèrent désormais comme un héros qui s'est levé pour les droits des siens face à la politique raciste du gouvernement, tandis que ceux qui soulignent sa fragilité mentale le considèrent toutefois comme une figure politique d'importance. Riel n'en reste pas moins une énigme humaine, étant à la fois, comme le souligne l'historien J.M.S. Careless[5], un meurtrier et un héros. Sa décision plutôt abrupte d'exécuter Scott peut également être vue comme un tournant décisif dans l'histoire de son peuple : peu après la Rébellion de la rivière Rouge, le gouvernement mit en place un programme cadastral qui permit aux colons et spéculateurs de rapidement spolier les Métis de leurs terres. Les relations entre ces derniers et Ottawa ayant été plutôt bonnes jusque là, les Canadiens auraient pu être plus rigoureux dans l'application de leurs propres lois. De même, la défiance entre Métis et Canadiens empêcha la création du Manitoba en tant que province administrativement francophone (ou à tout le moins bilingue, à l'instar du Nouveau-Brunswick), isolant un peu plus le Québec dans sa solitude linguistique.
La littérature euro-canadienne accorde paradoxalement une place plus importante à Riel que ne le fait la littérature métisse, probablement parce qu'il s'agit du seul personnage connu des non-Métis. Bien que ce point de vue soit loin d'être incontesté (et incontestable), plusieurs universitaires[6] notent la ressemblance frappante entre l'attitude mystique de Riel et certains cultes millénaristes qui apparurent à la même époque. D'autres soulignent également son côté révolutionnaire. Dans les années 1960, le Front de libération du Québec alla jusqu'à baptiser l'une de ses cellules terroristes du nom de Louis Riel.
Une statue de Louis Riel est érigée sur la colline du Parlement d'Ottawa, et deux autres peuvent être vues à Winnipeg. L'une de ces dernières, oeuvre de l'architecte Étienne Gaboury et du sculpteur Marcien Lemay, dépeint un Riel nu et torturé. Inaugurée en 1970, elle fit face à l'Assemblée législative du Manitoba pendant 23 ans, avant d'être déplacée vers le Collège universitaire de Saint-Boniface : nombreuses étaient les voix (notamment de Métis) se plaignant d'une représentation indigne et incorrecte. La statue fut remplacée en 1994 par une création de Miguel Joyal dépeignant un Riel homme d'État.
Nombre de communautés et villages du Manitoba et de la Saskatchewan ont dédié rues, écoles et bâtiments publics à la mémoire de Louis Riel. Le centre étudiant (et le pub universitaire) de l'Université de la Saskatchewan à Saskatoon porte son nom. L'autoroute provinciale 11 de la même province (qui relie Regina et Prince Albert) à été baptisée du nom de Louis Riel Trail par le gouvernement local ; la route passe près de nombre de lieux importants de la rébellion de 1885.
Les représentations les plus célèbres de Louis Riel incluent le téléfilm de 1979 sur la Rébellion de la rivière Rouge produit par Radio-Canada Télévision, ainsi que le roman BD de Chester Brown paru en 2003 Louis Riel l'insurgé[7].
Un opéra en trois actes intitulé Louis Riel fut commandé pour les cérémonies du centenaire de la confédération canadienne en 1967. Composé par Harry Somers, avec un livret de Mavor Moore et Jacques Languirand, il fut joué pour la première fois par la compagnie nationale d'opéra du Canada en septembre de la même année.
De la fin des années 1960 au début des années 1990, la ville de Saskatoon avait sa « Journée Louis Riel », une fête estivale avec course de relais combinant course à pied, avec sac à dos, en canoë, escalade et équitation (la fête incluait également un concours de dégustation de chou farci). L'événement fut par la suite annulé par manque de soutiens financiers.
Un groupe rock canadien prit le nom d'Exovedate en 1994, celui-ci étant le nom du Conseil formé par Riel en 1885. Billy Childish écrivit également une chanson intitulée Louis Riel.
Le 22 octobre 2003, CBC Newsworld et son équivalent francophone le Réseau de l'information diffusèrent une simulation du procès de Riel : les téléspectateurs étaient par la suite invités à voter « coupable » ou « non coupable » par internet. Sur les 10 000 votes reçus, 87 % se prononcèrent en faveur de la clémence. Les résultats de ce vote populaire renouvelèrent les appels au pardon posthume. De la même manière, l'émission de Radio-Canada La plus grande personnalité canadienne le classa sur la base de sondages au 11e rang des plus grands personnages historiques du pays.
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