Moraliste français, célèbre pour une oeuvre unique, « Les Caractères ou les Moeurs de ce siècle » (1688, constitué d’un ensemble de brèves pièces littéraires, compose une chronique essentielle de l’esprit du XVIIe siècle. Il fut l’un des 1er écrivains à mettre en avant le style littéraire, en développant un phrasé rythmé dans lequel les effets de rupture sont prépondérants. Ce style incite à la lecture à haute voix, donnant ainsi à cette activité le statut de jugement moral grâce à l’effet rhétorique obtenu par la lecture orale sur les auditeurs. Il consacre au demeurant toute une section des Caractères aux effets pervers de l’éloquence. Nombre d’écrivains ont suivi le chemin stylistique tracé par La Bruyère : depuis Marivaux jusqu’à Proust et André Gide, en passant par Balzac.
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Moraliste français (1645-1696). Auteur des Caractères, dont la forme est inspirée de l'ouvrage éponyme de l'écrivain de l'antiquité grecque, Théophraste. Dès sa parution, l'ouvrage connut un vif succès et valut à son auteur, protégé de Bossuet et précepteur de la famille Condé, un siège à l'Académie. La Bruyère occupe une place importante dans la lignée des moralistes français, à la suite de Montaigne et de La Rochefoucauld. Grâce à un esprit droit et un jugement d'une entière indépendance, il a su dégager de ses observations sur la société, la cour et les grands de son époque, une part de ce qu'il y a d'invariant dans la nature humaine. Au-dessus de ces portraits peints avec un grand souci du style, plane un pessimisme poignant: l'homme n'est pas fait pour le bonheur et on doit se méfier de ceux qui en font l'étalage. L'homme ne se sent pas naître, il est terrorisé à l'idée de mourir et il oublie de vivre; les enfants sont hautains, envieux et sans pitié: ils sont déjà des hommes: voilà quelques-uns des traits que lui inspire la nature humaine. On a voulu voir en lui un réformateur, un précurseur des Lumières et de la Révolution, pour sa compassion, rare à son époque, envers le peuple et la paysannerie que le sort condamne à peiner pour maintenir une noblesse qui n'a souvent de grand que le nom.
«LA BRUYÈRE (Jean de), moraliste français, né à Paris le 16 août 1645, mort à Versailles le 11 mai 1696. On a longtemps cru qu'il était né dans un village voisin de Dourdan, jusqu'à ce que l'on eût retrouvé son acte de baptême, qui établit qu'il a été baptisé le 17 août 1645 à l'église Saint-Christophe, dans la Cité. Il était le fils ainé de Louis de La Bruyère, contrôleur général des rentes de l'Hôtel de Ville, bourgeois de Paris, et d'Elisabeth Hamonyn. Son trisaïeul paternel, Jean de La Bruyère, apothicaire dans la rue Saint-Denis, et son bisaïeul, Mathias de La Bruyère, lieutenant civil de la prévôté et vicomté de Paris, avaient joué, au XVIe siècle, un rôle actif dans la Ligue.
Il fut vraisemblablement élevé à l'Oratoire de Paris, et, à vingt ans, obtint le grade de licencié ès deux droits à l'Université d'Orléans. Il revint vivre à Paris avec sa famille, dont la situation de fortune était assez aisée, et fut inscrit au barreau, mais plaida peu ou point. En 1673, il acheta une charge de trésorier général de France au bureau des finances de la généralité de Caen, charge qui valait une vingtaine de mille livres, rapportait environ 12,350 livres par an, et conférait en outre l'anoblissement; il fit le voyage de Normandie pour son installation, puis, les formalités remplies, il retourna à Paris et ne parut plus à Caen. Il vendit sa charge en 1686. Depuis le 15 août 1684, il était l'un des précepteurs du jeune duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé. Cet emploi fut confié à La Bruyère, d'après l'abbé d'Olivet, sur la recommandation de Bossuet, "qui fournissait ordinairement aux princes, a dit Fontenelle, les gens de mérite dans les lettres dont ils avaient besoin". On ignore d'ailleurs comment La Bruyère connaissait Bossuet.
Le jeune duc de Bourbon était âgé de seize ans, et il venait d'achever sa seconde année de philosophie au collège de Clermont (Louis-le-Grand), qui était dirigé par les jésuites. C'est avec deux jésuites encore, les pères Alleaume et du Rosel, et avec le mathématicien Sauveur, que La Bruyère partagea le soin d'achever l'éducation du jeune duc, auquel il était chargé d'enseigner, pour sa part, l'histoire, la géographie et les institutions de la France. Condé suivait de près les études de son petit-fils, et La Bruyère, comme les autres maîtres, devait lui faire connaître le programme de ses leçons et les progrès de son élève, qui, à vrai dire, était un assez mauvais élève.
Le 24 juillet 1685, le duc de Bourbon épousa Mlle de Nantes, fille de Louis XIV et de Mlle de Montespan, qui était âgée de onze ans et dix mois; La Bruyère fut invité à partager ses leçons entre les deux jeunes époux. Le 11 décembre 1886, Condé mourut à Fontainebleau, et l'éducation du duc de Bourbon fut considérée comme terminée. La Bruyère resta néanmoins dans la maison de Condé en qualité de gentilhomme de Monsieur le duc, ou "d'homme de lettres", suivant l'abbé d'Olivet, avec mille écus de pension.
Ces fonctions assez vagues laissaient à La Bruyère le loisir de travailler selon ses goûts, et elles lui permettaient d'observer à son aise ces grands et ces courtisans dont il devait faire de si mordants portraits. Mais il eut certainement à souffrir du caractère insupportable des «Altesses à qui il était», et que Saint-Simon nous a dépeintes sous de si noires couleurs. «Fils dénaturé, cruel père, mari terrible, maître détestable...», tel était, d'après l'auteur des Mémoires, Henri-Jules de Bourbon, fils du grand Condé; et quant à son petit-fils, l'élève de La Bruyère, "sa férocité était extrême et se montrait en tout. C'était une meule toujours en l'air, qui faisait fuir devant elle, et dont ses amis n'étaient jamais en sûreté, tantôt par des insultes extrêmes, tantôt par des plaisanteries cruelles en face, et des chansons qu'il savait faire sur-le-champ, qui emportaient la pièce et qui ne s'effaçaient jamais... Il se sentait le fléau de son plus intime domestique..." La Bruyère, qui avait naturellement l'humeur sociable et le désir de plaire, souffrit de la contrainte que lui imposait l'obligation de défendre sa dignité. Il évita les persécutions auxquelles était en butte le pauvre Santeul, mais on sent l'amertume de l'amour-propre blessé dans les plus âpres passages de son chapitre des Grands.
La première édition des Caractères parut en mars 1688, sous ce titre: les Caractères de Théophraste, traduits dit grec, avec les caractères ou les mceurs de ce siècle. À Paris, chez Etienne Michallet, premier imprimeur du Roy, rue Saint-Jacques, à l'Image Saint Paul. M. DC. LXXXVIII. Avec privilège de Sa Majesté, in °12. Le nom de l'auteur ne figura sur aucune édition publiée de son vivant.
Bien que cette première édition contint surtout des maximes, et presque point de portraits, le succès fut tout de suite très vif, et deux autres éditions parurent dans la même année 1688, sans que La Bruyère eût le temps de les augmenter notablement. En revanche, la 4e éd. (1689) reçut plus de 350 caractères inédits; la cinquième (1690), plus de 150; la sixième (1691) et la septième (1692), près de 80 chacune; la huitième (1693), plus de 40, auxquels il faut ajouter le discours à l'Académie. Seule, la 9e éd. (1696) qui parut quelques jours après la mort de La Bruyère, mais revue et corrigée par lui, ne contenait rien d'inédit. La vente de son ouvrage n'enrichit point La Bruyère, qui d'avance en avait destiné le produit à doter la fille de son libraire Michallet cette dot fut de 100,000 fr. environ, suiyant certaines estimations, etde 2 à 300,000 fr., suivant d'autres.
La Bruyère se présenta à l'Académie en 1691, et ce fut Pavillon qui fut élu. Il se représenta deux ans plus tard, et cette fois fut élu, le 14 mai 1693, en remplacement de l'abbé de La Chambre. Il avait été chaudement recommandé par le contrôleur général Pontchartrain. Son discours de réception, qu'il prononça le 15 juin de la même année, souleva des orages. Il fut violemment attaqué dans la Mercure Galant, qu'il avait placé jadis "immédiatement au-dessous de rien", et dont les principaux rédacteurs, Thomas Corneille et Fontenelle, ne lui pardonnèrent pas d'avoir fait l'éloge, dans ce discours, des chefs du parti des Anciens, Bossuet, Boileau, La Fontaine, et surtout d'avoir exalté Racine aux dépens de Corneille. La Bruyère répliqua à l'article du Mercure dans la préface de son discours, et il se vengea de Fontenelle en publiant dans la 8e éd. de son livre le caractère de Cydias, dont tout le monde reconnut l'original.
Les dernières années de la vie de La Bruyère furent consacrées à la préparation d'un nouvel ouvrage, dont il avait pris l'idée dans ses fréquents entretiens avec Bossuet: c'est à savoir les Dialogues sur le Quiétisme, qu'il laissa inachevés. Ils ont été publiés après sa mort, en 1699, par l'abbé du Pin, docteur en Sorbonne, qui compléta les sept dialogues trouvés dans les papiers de La Bruyère, par deux dialogues de sa façon. Il est probable qu'il ne se gêna point non plus pour remanier les sept premiers; mais, avec cette réserve, l'authenticité des Dialogues, qui n'était point admise par Walckenaër, parait certaine au plus récent éditeur de La Bruyère, M. G. Servois. Ajoutons que l'on a vingt lettres de La Bruyère, dont dix-sept sont adressées au prince de Condé, et nous aurons achevé l'énumération de ses oeuvres complètes.
Il mourut à Versailles, dans la nuit du 10 au 11 mai 1696, d'une attaque d'apoplexie. Le récit de sa fin nous a été transmis par une lettre d'Antoine Bossuet, frère de l'évêque de Meaux. "J'avais soupé avec lui le mardi 8, écrit-il; il était très gai et ne s'était jamais mieux porté. Le mercredi et le jeudi même, jusqu'à neuf heures du soir, se passèrent en visites et en promenades, sans aucun pressentiment; il soupa avec appétit, et tout d'un coup il perdit la parole et sa bouche se tourna. M. Félix, M. Fagon, toute la médecine de la cour vint à son secours. Il montrait sa tête comme le siège de son mal. Il eut quelque connaissance. Saignée, émétique, lavement de tabac, rien n'y fit... Il m'avait lu [deux jours auparavant] des Dialogues qu'il avait faits sur le quiétisme, non pas à l'imitation des Lettres Provinciales (car il était toujours original), mais des dialogues de sa façon. C'est une perte pour nous tous; nous le regrettons sensiblement." Bossuet lui-même écrivait de son côté le 28 mai: "Toute la cour l'a regretté, et monsieur le Prince plus que tous les autres."
Enfin, voici dans quels termes Saint-Simon a enregistré sa mort: «Le public perdit bientôt après (1696) un homme illustre par son esprit, par son style et par la connaissance des hommes: je veux dire La Bruyère, qui mourut d'apoplexie à Versailles, après avoir surpassé Théophraste en travaillant d'après lui, et avoir peint les hommes de notre temps, dans ses nouveaux caractères, d'une manière inimitable. C'était d'ailleurs un fort honnête homme, de très bonne compagnie, simple, sans rien de pédant, et fort désintéressé. Je avais assez connu pour le regretter, et les ouvrages que son âge et sa santé pouvaient faire espérer de lui.»
La Bruyère mourait célibataire et pauvre. Sa mort, "si prompte, si surprenante", suivant les expressions de son successeur à l'Académie, l'abbé Fleury, fit naître le soupçon qu'il aurait été empoisonné, sans doute par la vengeance d'un des originaux des Caractères; ces bruits n'avaient aucun fondement sérieux. Il fut inhumé à Versailles le 12 mai, dans la vieille église Saint-Julien, qui a étédémolie en 1797.»
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La critique n'est souvent pas une science ; c'est un métier qui demande plus de santé que d'esprit, plus de travail que de talent, plus d'habitude que de génie indigène. Entre les mains d'un homme qui a beaucoup lu mais manque de jugement, appliqué à certains sujets, il peut corrompre à la fois ses lecteurs et l'écrivain lui-même.
Un homme grand et bien bâti avec une poitrine profonde et de larges épaules peut porter un lourd fardeau avec aisance et insouciance, tout en gardant une main libre ; un nain serait écrasé de la moitié de ce poids. Ainsi les hauts postes rendent les grands hommes encore plus grands, et les petits hommes beaucoup plus petits
Une longue maladie semble être placée entre la vie et la mort, afin que la mort même devienne un soulagement et à ceux qui meurent et à ceux qui restent.
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